RICHARD BONA : LA BONA’VENTURE DU JAZZ

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RICHARD BONA : LA BONA’VENTURE DU JAZZ

Paru dans le magazine Mozaik (2004) – Par Lydie Yabeko.
Jusqu’où ira Richard Bona? Le Meilleur artiste International de Jazz de l’Année 2003 continue sa belle aventure musicale entreprise il y a une vingtaine d’année. Des bars de Douala, au «village» de New-York, itinéraire d’un surdoué. 

Alors qu’au début des années 80 Richard Bona commence sa carrière de musicien en jouant du Makossa dans les bars de Douala au Cameroun, le jazz frappe à sa porte. « Je jouais souvent dans un club à Mermoz. Un jour, un Français qui traînait souvent par là m’a dit que j’avais du talent et que je devrais jouer du jazz avec lui. Je n’y connaissais rien, mais comme il me proposait vingt fois mon cachet habituel, je l’ai suivi ». Avec son importante collection de disques, l’homme en question, véritable fan de jazz, initie le jeune Richard à sa passion. Une passion qui sera sans fin…

Il suffit de se rappeler prestation de Richard Bona au Festival de Jazz de Montréal le 2 juillet dernier pour se faire une idée de la progression de l’artiste. C’est debout et avec un tonnerre d’applaudissements que la foule a salué son passage. S’il est vrai que la performance du bassiste était particulièrement éclatante, il est cependant très rare de voir le public québécois réserver une telle ovation à un musicien étranger qui, bien qu’il s’exprime avec des sonorités jazz, chante dans sa langue d’origine (le Douala). Ce soir-là, Richard Bona termine son spectacle par une reprise du célèbre jazzman Jaco Pastorius, comme hommage à celui qui fut sa première source d’inspiration.

Il raconte : « Ma première rencontre avec le jazz s’est faite sur un air de Jaco Pastorius. Je n’avais jamais entendu quelqu’un jouer de la basse comme ça. J’étais saisi, voire hypnotisé. Je me suis alors rendu compte que la musique que nous jouions au Cameroun comportait des lacunes. Après ce jour, inutile de préciser que je n’écoutais que du jazz, ne jouais que ça et d’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, je ne fais que ça! »

C’est aussi en jouant un répertoire hommage à Jaco Pastorius que Richard Bona s’est fait une place dans un prestigieux club du quartier du « village » à New-York. Puis, petit à petit, il introduit ses propres créations.

La fin de l’histoire, nous la connaissons: Richard signe son premier album avec la maison de disque Columbia (Scenes from my life, 1999). Par la suite, il prouve maintes fois son talent d’auteur-compositeur-interprète. Sur son deuxième album (Révérence, 2002), il compose non seulement toute la musique mais joue lui-même des percussions, du clavier, de la flûte, de la guitare et de la basse. La sortie d’un troisième opus, plus acoustique et intitulé Munia – The Tale (2003), ne fait que confirmer son don pour la musique. Dans ce dernier album, il interprète une chanson avec Salif Keïta, chanson qui connaît un succès universel. Mais la consécration arrive le 7 mai 2004 lorsque les Victoires du Jazz récompensent celui qui fut le directeur musical d’Harry Belafonte pendant plus d’un an. Richard Bona y reçoit le prix du Meilleur artiste international de l’année 2003.

L’intermède français

Ce bassiste, devenu aujourd’hui incontestablement célèbre, confirme cette théorie selon laquelle rien n’arrive sans raison. Parti pour la France dans sa jeune vingtaine, il y rencontre de nombreuses difficultés en 1995 lorsque l’immigration lui refuse le renouvellement de sa carte de séjour. « Ça tombait bien car quelque part, je voulais partir. J’étais dégoûté par la tournure du show business en France et j’en avais marre d’accompagner des chanteurs français que je ne trouvais pas toujours géniaux. J’avais envie de faire « ma » musique. Nougaro disait bien que les meilleures personnes pour raconter l’Afrique étaient les Africains. Si ce n’est pas nous qui jouons notre musique, qui va le faire?»

C’est ainsi que Richard Bona se retrouve à New-York. Et il ne s’en cache pas, il adore les États-Unis. « En France, chaque petite chose, comme donner du travail aux gens, était toujours compliquée à cause de l’excès de paperasse entre ceux qui veulent être déclarés ou pas et ceux qui touchent le RMI ou les ASSEDIC… Ici, en un mois, sans argent et sans rien, j’avais déjà formé un groupe. La différence est flagrante, les gens veulent réussir! En plus, ils sont ouverts d’esprit. On m’a presque toujours laissé chanter en Douala. Il n’y a rien à dire, les Américains savent exploiter votre potentiel à son maximum ».

Un Africain à New-York

Cependant, il arrive fréquemment que les politiques de marketing employées sur le continent de l’Oncle Sam soient trop féroces et dépassent les limites imposées par l’artiste. C’est notamment le cas lorsque quelques années plus tard, on oblige Richard Bona à interpréter « I am an African in New York », une version de la célèbre chanson de Sting « I am Englishman in New York ». Outré et bien décidé à ne pas s’adonner à n’importe quoi, il n’hésite pas à se brouiller avec sa maison de disque. « Pourquoi devrais-je chanter ça? Je suis Africain, j’habite à New York, mais je n’ai pas besoin de réclamer mon africanité! C’est moi qui travaille ma musique chaque jour; il est hors de question qu’un responsable de marketing, qui ne connaît pas plus la musique que les voitures qu’il vendait avant vienne me dire ce que je dois faire. Chacun son truc; moi je fais mes albums comme je l’entends, lui son travail c’est de les vendre. »

Richard Bona a beau aimé son pays d’origine, il dénonce fortement le manque de réglementation qui règne là-bas dans le milieu du marché du disque. On peut comprendre qu’il soit amer quand on sait que des dizaines de milliers de disques sont vendus illégalement au Cameroun et qu’il n’en touche aucun bénéfice. Et pourtant, Richard Bona admet étudier la possibilité de retourner y vivre après sa retraite : « J’aimerais former de jeunes musiciens au Cameroun. Ça me rend triste de constater qu’il n’y ait pas, comme au Sénégal, de structure de formation, du genre des conservatoires ».Richard_Bona_Reverence.Lydie Yabeko

En attendant, Richard Bona retourne dans son pays chaque année pour une série de concerts et choisit de philosopher lorsqu’on évoque le public camerounais ô combien difficile : « C’est un autre feeling. Les gens sont différents. Au contraire des Japonais qui restent calmes du début à la fin du spectacle, mes compatriotes chahutent beaucoup. Il y en a même qui ne payent leur place que pour pouvoir vous emmerder; il faut donc jouer le jeu. Le Cameroun, c’est chez-moi et j’adore cette ambiance. C’est ça être musicien; il faut savoir en donner à tout le monde »

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